Le vent nous portera [Lb]

Se rendre à la plage alors que le vent de Novembre était particulièrement froid était un truc parfaitement décalé et inhabitudel, propre aux romantiques éperdus ou alors aux artistes en mal d'inspiration. Jennifer était bien consciente qu'elle ne faisait partie d'aucune de ces deux catégories et avait donc fini par concevoir que le vent hyper désagréable qui vous projetait inlassablement du sable dessus devait être un truc que les dépressifs nostaligues dans son genre devaient apprécier eux aussi. Bien sûr, on ne se rend jamais compte de ses défauts - ou du moins que partiellement - et si Jenny se trouvait parfois compliquée ou jamais satisfaite - pour ne pas dire totalement torturée - elle n'avait pas l'impression d'être dépressive, ou même super chiante. Non, pour elle, elle était simplement l'une des fameuses héroïnes de tragédies Grecques ou de drames romantiques, le genre de personnage qui avait beau se débattre mais qui finissait inlassablement par perdre, le poids du destin étant bien trop fort et surtout insurmontable. Jennifer n'arrêtait pas de regarder en arrière depuis son retour à Degrassi, qui remontait à quelques jours. Elle n'était pas à la recherche d'une quelconque popularité perdue, parce qu'à vrai dire elle ne l'avait jamais cherché, celle-ci lui était tombé dessus avant de repartir aussitôt, mais plutôt du bonheur. Elle l'avait trouvé ici et même si Jennifer avait tout détruit toute seule comme une grande, malgré qu'elle ait toujours rejeté la faute sur Matthéo qu'elle avait aimé d'une façon bizarre et destructrice, elle restait persuadée de pouvoir le retrouver. Après tout, elle ne demandait pas quelque chose d'impossible. Le problème avec une fille comme elle, c'était qu'elles adoraient retrouver un semblant de stabilité, une vie bien rangée, simplement pour avoir le plaisir de la foutre en l'air et d'être malheureuses. A croire que se complaire dans le malheur était plus facile que de construire quelque chose de fiable. Assise sur le sable et les bras entourant ses genoux, Jennifer laissait son regard se perdre dans la mer agitée tout en se demandant encore une fois pourquoi il avait fallu qu'elle néglige son année au point de redoubler sa terminale alors qu'elle n'était même pas idiote ou paresseuse. Et en plus, pour couronner le tout, elle crevait littéralement de froid, malgré son manteau en laine et son écharpe. Pourquoi, dans les films, les héros n'avaient pas l'air gelés sur place, hein ?

Beth était de parfaite humeur et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elle était amoureuse.C'était une raison suffisante. Surtout que c'était d'Adrian. Elle était sur son petit nuage. Ca l'avait presque calmée. Du moins dans les apparences. ELle restait encore très névrosée et avait encore un comportement imprévisible. Ensuite, la deuxième raison de sa bonne humeur, c'est qu'elle était enfin en week end. Beth était épuisée. Sa semaine avait été très chargée niveau cours, les profs s'étaient donné le mot pour demander tous en même temps de rendre des devoirs longs à faire. Et même si Beth était très douée, ça lui avait coûté de se coucher tard plusieurs soirs de suite pour être sûre de rendre ses devoirs à temps. Donc là, elle pouvait enfin souffler un peu, grasses matinées et nuits blanches passées à roucouler avec son Adrian. Et enfin, la troisième raison à sa bonne humeur était aussi qu'étant donné qu'elle était en week end, elle était chez elle, à Toronto, et là elle revivait enfin ! Elle pouvait enfin s'éloigner de Degrassi et de sa population qui n'était pas à sa hauteur, du moins aux yeux de la jeune fille qui avait une très haute estime d'elle même, il faut l'avouer. Et donc à Toronto, il y a la plage.
La plage. Beth avait toujours gardé son âme d'enfant, et depuis toute petite, elle adorait la mer, les vagues, le sable, les poissons (qu'elle ne mangeait pas, elle les aimait bien trop pour ça), les oiseaux ... C'était le genre à adorer faire des châteaux de sable à encore 15 ans et à demander à son petit ami de la recouvrir entièrement de sable à 17 ans ! Et ce jour là, profitant d'avoir du temps de libre, elle décida d'aller se promener en bord de mer afin de ramasser du sable pour ramener dans sa chambre et faire une sorte de jardin japonnais, histoire de renouveler sa déco. Equipée d'un seau et d'une pelle, elle débarqua sur la plage emmitoufflée dans son manteau et chercha l'endroit idéal pour ramasser du sable. Elle connaissait cette plage par coeur et savait parfaitement où elle devait aller.
Quand elle arriva près de son endroit, elle remarqua qu'il y avait une jeune fille positionnée juste à l'endroit où elle avait décidé de creuser ! Bonne humeur, Beth, bonne humeur, pensa-t-elle ! Une façon pour elle de se maîtriser. Du moins d'essayer. Elle respira longuement et lentement, c'était le week end elle était sur la plage, à Toronto et elle était amoureuse ! Le tableau parfait ! Alors cette fille sur cette plage, ce n'était qu'un ... grain de sable ! Il fallait qu'elle se raisonne et surtout ne s'emballe pas. Après tout, la plage était suffisamment grande pour qu'elle puisse prendre son sable. Oui mais, c'était celui sous les pieds de ce parasite qu'elle voulait. Et elle n'allait pas faire demi-tour car elle voulait finir la déco de sa chambre pour la montrer à Adrian quand il allait venir chez elle pour rerencontrer ses futurs beaux-parents et parler avenir avec son futur beau père et patron/associé ! Tout ça pour dire que Beth n'allait pas laisser cette fille gâcher son sable et donc elle se rapprocha d'elle, la regarda avec une petite moue qui lui était propre et lui dit en lui tapant un peu sur l'épaule pour l'interpeller :

- Eh ! Excuse moi mais t'es sur mon sable.

Jennifer était toujours en train de se morfondre sur la plage, tout en trouvant que c'était vraiment moins drôle que dans les films. Et moins mélodramatique aussi. Elle était persuadée qu'elle devait avoir le nez rougi, les joues roses et les cheveux tout emmêlés à cause du vent gelé de Novembre, malgré que la moitié de son visage était emmitouflé dans une écharpe. Jenny n'avait en ce moment rien d'une Manny Santos ou d'une Adriana ou de n'importe quelle autre fille populaire qu'elle avait pu fréquenter lors de son premier jour ici. Même si ressembler à ce genre de personne populaire n'avait jamais été son ambition puisque ces filles là étalaient leur bonheur à la terre entière et que justement, elle ne savait pas être heureuse. Ca devait être dans ses gênes d'être torturée et bien trop prise de tête. Lorsque ça n'allait pas Jennifer ne s'en formalisait pas et trouvait même la situation normale. Par contre, quand ça allait, elle était d'un pessimisme rare et ne pouvait s'empêcher de penser que ça n'allait pas durer et que c'était l'ordre naturel des choses. Voilà pourquoi elle ne fut même pas étonnée que son moment de prise de tête à la Dawson soit interrompu par un tapotement sur son épaule suivi d'une affirmation des plus étranges. Prmeièrement cette fille la dérangeait en plein questionnement, et en plus, elle était totalement pas rationnelle. Génial. Jennifer se retourna et adressa un sourire à une petite brune à l'air enfantin et angélique, absolument adorable. Même si elle n'aimait pas se sociabiliser puisque les ennuis venaient toujours des autres, Jennifer décida de faire un effort et se leva, époussetant par là même le sable qui avait pris possession de son jean avant de répondre à la question de Beth, qu'elle n'avait jamais vu.

- Aux dernières nouvelles, cette plage est publique, alors par conséquent le sable ne peut pas t'appartenir. Mais je voudrais surtout pas te froisser.

Matthéo se ressourçait depuis plusieurs mois sur les vagues d'Events Beach. Lucas lui avait appris tous les rudiments du surf. Malgrés la température très basse, il avait quand même décidé de ne pas renoncer à son plaisir et de venir goûté à l'eau glacé. Sa planche sous le bras dès les premières heures de la journée, il prenait les premères vagues avec un plaisir non dissimulé. Maintenant épuisé, Matthéo sortit de l'eau, sa planche sous le bras et cherchant des yeux ses affaires posées quelque part sur le sable. Pas loin de celles de...

- Jennifer Jones !

Matthéo n'avait même pas froid dans sa combinaison de surf mais très vite l'inactivité le ferait mourir d'hypothermie. Il abaisa sa combinaison jusqu'à la partie inférieure de son corps et sécha avec énergie son torse trempé avant d'enfiler un t-shirt et un pull rapidement. Il jeta un coup d'oeil à Beth qu'il venait tout juste de découvrir et lui adressa un sourire sympathique avant de comprendre que les deux jeunes filles étaient peut-être en train de discuter.

- Désolé de déranger. Je suis juste surpris et content de te voir ici.

C'était plutôt surprenant vu qu'il y encore un an et demi, il détestait Jennifer et faisait tout pour la faire souffrir. C'était en partie à cause de leur histoire, que son addiction pour l'alcool avait augmenté et qu'il avait commencé à changer. Elle avait ressortir tout ce qu'il y avait de plus mauvais en lui. C'était pour ça que leur relation restait pour Matt la plus forte qu'il n'ai jamais vécu.

Beth était satisfaite car sa voleuse de sable n'avait pas fait trop d'histoire en acceptant de se déplacer pour que Beth puisse ramasser dans son petit sac plastique tout le sable dont elle avait besoin. Bon, elle avait l'air un peu trop gentille aux yeux de Beth, mais elle la trouvait plutôt sympa et avait bien envie de lui parler, parler et encore parler histoire de passer le temps, juste pendant qu'elle ramassait son sable. En général,elle parlait aux crabes qu'elle croisait, mais là, avec le froid qu'il faisait sur cette plage, ils ne semblaient pas être de sortie. Dommage, Beth était déçue. Elle adorait les crabes, elle les trouvait mignons mais surtout elle adorait leur capacité à pouvoir pincer très fortement les gens, jusqu'au sang. Quand elle était petite, elle s'amusait à en mettre dans le maillot de bain de son baby sitter qui n'avait jamais voulu l'embrasser sur la bouche pour la simple raison qu'elle avait 10 ans et qu'il en avait 20. Merde, il était con vraiment. Du coup, il avait mérité ce châtiment. D'ailleurs, si un jour Beth le rencontrait, elle recommencerait sûrement. Elle avait été si frustrée face à son refus catégorique que depuis elle développait un esprit très rancunier à son égard.
Les crabes n'étant pas là, elle commenca dont et à creuser et à parler à Jennifer qui ne s'attendait peut être pas à tomber sur une bavarde comme Beth.

- Je te remercie. Je m'appelle Beth, et cette plage, c'est quand même la mienne, depuis le temps que j'y viens. Enfin tu peux rester quan même ça ne me dérange pas. Tu t'appelles comment ? C'est bizarre, je ne t'ai jamais vu ici. D'habitude c'est plutôt le refuge des lourdeaux de surfeurs qui veulent crâner en montrant à leurs copines qu'ils peuvent surfer par un froid pareil. Je trouve ça complètement débile. C'est comme si mon mec me montrait qu'il pouvait marquer des paniers en jouant pieds nus sur un sol pleins d'épines. Mais dis moi, t'es pas là pour regarder ton mec se les geler dans l'eau hein ?

Et au même moment où elle lui posa cette question, le mâle dont elle faisait indirectement la description 30 secondes plus tôt apparut. Beth n'avait pas imaginé la moindre seconde qu'il y en avait sur cette plage aujourd'hui même. En tout cas, ça lui montrait à quel point sa théorie était vraie. Et comble de tout, ce surfeur sûrement très stupide s'approcha d'elle ou plutôt de Jennifer, car il ne sembla même pas calculer Beth. Pourtant, elle était tout sauf transparente. Elle pouvait le lui prouver s'il avait du mal à la voir. Et donc, quand il prit la parole, Beth excédée par son manque de politesse flagrant lui coupa presque la parole et lui dit séchement :

- En effet du dérange. Bonjour quand même. Et moi, je suis surprise que tu sois encore là en train de parler alors que j'étais en train de parler ...

Elle se coupa un instant et se tourna vers Jennifer pour lui poser une question qui venait de l'effrayer :

- Rassure moi, c'est pas ton mec ? Je serai obligée de vous enterrer vivants tous les 2 si c'est le cas ...

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